24 octobre 1899
Baptême du canot de sauvetage AMICIA
Aujourd'hui 24 octobre, à 3 heures, le Président du Comité M. Collet, Vice-Président de la Chambre de Commerce, allait avec moi chercher la marraine du canot Mme Olmi remplaçant Mme Collet, sa tante, retenue chez elle, à son très grand regret, par une indisposition.
Le parrain était le Maire de Dunkerque, M. Dumont, qui a bien voulu donner aux marins cette preuve d'amitié. M. l'abbé Brousse, curé-doyen, a tenu à bénir lui-même le canot. Nous nous sommes joints au Comité et aux anciens sauveteurs pour nous rendre au quai des pêcheurs, centre même du quartier maritime.
Le canot fort bien pavoisé nous y attendait avec son armement complet. M. Collet a, dans une aimable allocution, chargé le Représentant de la Société des remerciements de la population pour le donateur et pour la Société. Il s'est exprimé en ces termes :
« Messieurs,
« Ce m'est un devoir très agréable de remercier aujourd'hui au nom de mes collègues du Comité et de tous nos braves sauveteurs, M. l'inspecteur Brossard de Corbigny d'avoir bien voulu rehausser par sa présence cette cérémonie du baptême du nouveau canot l'AMICIA , dont un généreux philanthrope vient de doter la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, et que le Conseil d'administration a bien voulu affecter à notre station.
Nous ne pouvons que nous incliner devant la décision du donateur de garder l'anonymat, mais rien ne peut nous dispenser de lui témoigner notre gratitude et je suis certain d'être votre interprète à tous en priant M. de Corbigny de demander à notre vénérable président, l'amiral Lafont, de vouloir bien faire parvenir à cette personne généreuse, l'expression de nos sentiments de reconnaissance ; d'y ajouter l'assurance que l’AMICIA est remis en bonnes mains et que nos braves sauveteurs sauront l'utiliser pour continuer la noble et grande mission de notre Société en s'efforçant d'arracher à la mer les malheureux naufragés qu'elle tenterait d'engloutir.
Vous me reprocheriez avec raison, en cette circonstance, d'être incomplet si je n'ajoutais à ces paroles quelques mots de remerciements à l'Amiral pour sa sollicitude constante pour notre station, de même qu'à M. le Maire de Dunkerque, M. Alfred Dumont, qui a bien voulu, avec sa bonne grâce habituelle, accepter d'être le parrain de notre nouveau canot ; je me permettrai d'être plus discret en ce qui concerne la marraine Mme Charles Collet, que son état de santé retient chez elle et qui m'a chargé de vous prier d'excuser son absence forcée.
Son concours en cette occasion était tout naturellement acquis à notre Compagnie et elle vous remercie de l'honneur que vous lui aviez fait en la désignant ; je vous prierai donc de reporter vos remerciements sur sa nièce, Mme Eugénie Olmi, qui a bien voulu de la meilleure grâce du monde remplacer sa tante empêchée. Ceci dit, je passe la parole à M. le commandant Brossard de Corbigny, inspecteur de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés ».
J'ai répondu par ces quelques mots :
« MM. les membres du Comité de Sauvetage, Marins de Dunkerque,
Je suis appelé par le président de la Société de Sauvetage des Naufragés, l'amiral Lafont, à l'honneur de remettre entre vos mains le superbe canot que voici. Les embarcations qu'il remplace ont été vaillamment utilisées par vos prédécesseurs. Je les aperçois parmi vous, ils viennent à cette cérémonie en souvenir du passé. Marins de sauvetage d'aujourd'hui, vous avez déjà suivi les beaux exemples qu'ils vous ont légués.
Aucune tempête, si forte qu'elle fût, n'a pu arrêter ni eux, ni vous, à la vue du signal de détresse, et les capitaines de vos remorqueurs, méprisant les chances d'avaries, ont toujours tenu à honneur de vous apporter le concours de leurs forces et l'appui de leurs équipages.
Ce canot de sauvetage, mieux encore que les précédents, répondra à vos généreux efforts ; L’AMICIA comporte en effet des perfectionnements nouveaux et ses grandes dimensions satisferont les désirs que vous avez exprimés. La station de Dunkerque, si importante, si bien desservie, reçoit donc aujourd'hui un beau et parfait cadeau, dernier terme de ce genre spécial de constructions, habilement exécuté par les grands chantiers de M. Normand, du Havre. Qui dit cadeau dit donateur, et, dans le cas actuel, donateur très généreux, ami des marins, capable d'élever son esprit à la hauteur de cette grande idée anonyme : Le Sauvetage des Naufragés. Anonyme en effet ! car si vous savez quelquefois le nom, la nationalité des victimes que vous arrachez à la mer, c'est seulement après les avoir recueillies.
Vous ne comprenez pas toujours leur langage reconnaissant, mais leur cri d'appel a d'abord été pour vous d'une claire éloquence. Les mêmes sentiments, la même grande idée ont rempli l'esprit et le cœur de celui ou de celle qui vous offre L’AMICIA ; l'anonymat le plus complet cachera son nom. Est-ce un riche philanthrope, un grand armateur, ou une mère de naufragé qui met entre vos mains ce moyen de la venger d'une perte cruelle ? Nous n'en savons absolument rien sinon, comme nous l'a dit notre amiral-président, que «sa charité est inépuisable ».
La reconnaissance de tous, sauveteurs et sauvés, pour n'avoir pas d'objet déterminé n'en sera pas moins vive, et la meilleure manière de reconnaître cette générosité n'est elle pas, hommes d'action que vous êtes... de s'en servir au premier signal ? L’AMICIA va donc passer sans retard du chantier à l'activité. Tous les essais ont été faits au Havre; ses qualités techniques sont parfaites. Mais ces avantages ne sont rien sans l'habileté, sans la bravoure des équipages. Vous êtes habiles et braves, et je le prouve à ceux qui vous connaîtraient peu, en ouvrant notre livre d'or à la page de Dunkerque.
Prenons les vingt dernières années : Vous avez fait dans ce laps de temps 60 sorties de sauvetage, la plupart très dures, et recueilli 224 naufragés. Il est à remarquer que depuis cinq ans environ, c'est presque toujours par quantités de 15, 28, 26, 27 personnes que les sauvetages sont effectués ; c'est un nouvel indice du progrès de la grande navigation au détriment des faibles tonnages.
Vous devez donc, vous aussi, augmenter la capacité de vos canots. N'hésitez pas dans le doute à employer simultanément tous les moyens de votre station. Mais, pour triompher du péril de mer, l'audace ne suffit pas, il faut aussi la confiance..! Voici que vous l'apporte un prêtre que vous connaissez bien ; car le prêtre de nos côtes est plus souvent que tout autre, appelé à adoucir par ses consolations des deuils d'autant plus cruels qu'ils sont imprévus. Que ses vœux-soient pour vous, marins-sauveteurs, une protection au milieu du danger, un réconfort dans les manœuvres périlleuses que vous aurez certainement à faire dans votre nouveau canot.
Quelque jour, cet hiver peut-être, la tempête, votre vieille ennemie, vous jettera ses 'hurlements de défit « Navire en danger!... » Allons! Lauwick, Cailliez, Marquette, Jannekeyn, Bossu, Dejonghe, Fournier, Marin,., et tant d'autres !
Qui de vous sautera le premier à la terre ? Cinquante bras se tendent pour armer 14 avirons. Est-ce bien vous, hommes du Nord, si calmes quand la mer est belle ? Vous voilà tout à coup têtus comme des Bretons, exubérants comme des Gascons et frondeurs comme des Provençaux ! (vous voyez que je fréquente nos côtes) mais pourtant... c'est avec ces défauts-là qu'on fait de bons marins et vos succès restent seuls dans nos mémoires pour prouver encore, pour prouver toujours que si nous avons en France des bienfaiteurs magnifiquement généreux, nous avons aussi tout le long de notre cher littoral, des légions de braves gens prêts à lutter jusqu'à la mort pour sauver quelques inconnus. Oui ! ne vous semble-t-il pas que le nom même de votre canot rappelle qu'il est beau de secourir, qu'il est bon d'aimer ? Ce nom, retenons-le, marins !
AMICIA... Aimons !
En, terminant, je tiens à remercier Mme la Marraine du canot et M. le Maire, parrain, d'avoir bien voulu apporter l'appui de leur sympathique notoriété à cette réunion toute maritime ; c'est une preuve touchante de l'intérêt qu'ils portent aux gens de mer du grand port de Dunkerque.
M. le curé doyen après avoir, dans une improvisation éloquente, appelé sur les marins et sur le donateur la protection providentielle, a béni le canot. Les avirons aussitôt armés ont permis à nos hommes de promener dans le chenal, devant toute la population, leur belle embarcation et la cérémonie s'est terminée par une coupe de Champagne et des dragées offertes aux notables dunkerquois.
Le Maire s'est fait alors l'interprète de tous en remerciant chaleureusement le donateur anonyme et la Société. A 4 h. 30 la réunion prenait fin et la foule très nombreuse se dispersait emportant, de cette fête maritime, une excellente impression.
Le Capitaine de Frégate de réserve, Inspecteur de la Société,
Brossard de Corbigny
Source :
BNF Gallica Société centrale de sauvetage des naufragés